Pour le vernissage de l'exposition "Ngaldjorlhbo | Mother of Everything | Mère de Toute Création" mercredi 6 juin à Paris, nous avons eu la joie et le privilège d'avoir trois invitées d'honneur et marraines de l'exposition, qui ont prononcé des discours forts et émouvants pour exprimer leur soutien et célébrer l'art des femmes artistes de Maningrida : Céline Parsoud, Nadine Bilong et Bobbie Ruben.
Texte de Céline Parsoud
Présidente de WoMen’Up – Fondatrice de Gender Busters (*)
"Engagée pour l’Égalité Femmes / Hommes depuis de nombreuses années, je suis honorée, au nom de WoMen’Up, de marrainer cette exposition inédite en France réalisée par et avec des artistes exceptionnelles.
Dans l’art comme ailleurs, la faible visibilité et représentativité des femmes, a conduit à un effacement de leur créativité et de leur talent, qu’il nous appartient aujourd’hui de réparer. Le monde de la culture, qui a d’ailleurs été le berceau des récentes vagues de mobilisation pour les droits des femmes, se doit de porter un engagement fort afin de revaloriser la création artistique féminine.
Ce pourquoi, nous avons été particulièrement sensibles à ce projet d’exposition rendant hommage aux femmes aborigènes et faisant le choix de présenter uniquement des œuvres d’artistes femmes. Une manière de donner une voix, d’accorder enfin une place, aux femmes artistes indigènes d’Australie au sein de nos cultures, bien trop souvent masculino-occidento-centrées.
La thématique de cette exposition autour de la figure de Ngaldjorlhbo mettant en scène une femme puissante, une femme créatrice, aux origines de la terre, ainsi que les valeurs de transmission envers les générations futures, résonne en profondeur avec nos valeurs et nos aspirations.
Nous sommes fier.e.s d’apporter notre soutien aux centres d’art de Maningrida Arts & Culture et Bábbarra Women qui jouent un rôle crucial auprès des femmes de la région de Maningrida pour leur autonomie financière, l’accessibilité des services de santé, pour leur communauté et la défense de leur terre.
Nous vous invitons à venir nombreuses et nombreux pour découvrir la richesse de cette exposition organisée par IDAIA, Maningrida Arts & Culture et Bábbarra Women’s Art Centre, en partenariat avec New Angles."
Texte de Nadine Bilong
Commissaire d’exposition indépendante (*)
"« Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature. »
Une chambre à soi, Virginia Woolf
Ngaldjorlhbo Mother of Everything | Mère de Toute Création est une exposition qui repousse les frontières et invite au rêve. IDAIA nous invite à découvrir le message des femmes artistes de la communauté aborigène de Maningrida, en terre d’Arnhem occidentale.
Cet évènement consacrera à travers un parcours énigmatique des créations pluridisciplinaires des artistes étonnantes. Un art enrichi d’archives, de documents témoins d’une vie contemporaine engagée dans un siècle bouleversé par de nombreux tensions.
Comme son titre l’énonce, la mère de toute création est une métaphore des circulations plurielles des formes et des idées, nous invitant à redécouvrir une histoire des territoires parfois mal explorés, les souvenirs, des rites qui ont pourtant inspirés les avant-gardes, et d’autres mouvements culturels et transnationaux. Il s’agira de renouveler nos souvenirs et d’avouer un modernisme international « manqué » dans une histoire des arts classiques ou traditionnelles mal comprise dans son humanisme et son universalité.
Cet été, les deux soeurs Deborah Wurrkidj et Jennifer Wurrkidj, ainsi que leur tante Susan Marawarr, nous transporterons dans une ballade contemporaine aux sons des rites cosmogoniques. L’espace New Angles au Passage du Grand Cerf à Paris sera traversé par trois personnalités accomplies et importantes au sein de leur communauté.
La tangibilité c’est une « nécessité intérieure », une spiritualité liée à un monde protecteur, la figure d’une mère comme une émanation spirituelle dégagée de toute contingence matérielle, une force protectrice, qui traverse la matière et l’apaise.
Les œuvres présentées et les thématiques abordées lors de nos différents échanges affronteront les complexités de cette terre inconnue, les artistes insisteront sur les expérimentations techniques qui ont poussé les hommes et les femmes des grottes à trouver une forme adéquate aux contenus qu’ils souhaitent encore évoquer et invoquer. Des formes qui cultivent et animent la vie, comme des notes d’un très long voyage qui relate l’autonomie croissante des couleurs, la concordance et la discordance des points et lignes sur divers plans. Ces œuvres à travers leur spiritualité exprimeront la nostalgie d’une terre souvent oubliée, la perte de notre âme face au matérialisme de notre ère. Les artistes porteront à travers leurs voies des sons et des vibrations favorisant un regard magique des humains.
Les arts dits « indigènes » primitifs ou premiers sont des sources inaltérables d’inspiration, ils sont comme un éternel paysage abstrait dont on admire la virginité de l’esprit et de l’âme, les œuvres présentées sont des corps qui traversent les temps à travers une transmission ou un « art » dont les faces parviennent à voir au-delà de leurs sections.
« L’artiste est la main qui par l’usage convenable de telle ou telle touche met l’âme humaine en vibration. »
Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, Wassily Kandinsky.
Dépasser les frontières du rêve à travers différents médias, c’est s’adapter aux nouveaux instruments du monde qui favorisent l’expansion des connaissances et l’évolution des mentalités, de la réflexion et donc de la spiritualité des générations futures, mais c’est surtout une volonté de transformer la civilisation en intégrant des valeurs absentes faute de méconnaissance. Ngaldjorlhbo donnera aux femmes le pouvoir de la connaissance universelle, la connaissance des liens profondément enracinés à la parole primordiale, des liens nécessaires pour la transformation des identités dans un monde en manque d’unicité en face d’une globalisation sauvage ou l’entrecroisement rapide des différences.
Les œuvres contemporaines des peuples du monde sont d’abord des récits ou des pures fictions plaçant le spectateur en face d’une explosion du monde, en se détachant de l’esthétique habituellement normalisée ou traditionnelle, la fiction initie aux dialogues, elle aide à poursuivre le récit plastique, pour étayer les formes imperceptibles et parfois incomprises par le public, finalement un dialogue qui aide à renouer avec la tradition des chants, des songes ou mythes, une logique hétérogène de la fiction dévouée à redonner du sens aux lueurs du soir.
« La seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire. »
Journal intégral : 1915-1941, Virginia Woolf"
Une introduction aux textiles Babbarra par Bobbie Ruben
Graveuse, designer textile et éducatrice australienne (*)
Merci de m'avoir invité à prendre la parole lors de cette exposition pluridisciplinaire exceptionnelle d'art et de design en provenance de Maningrida en Terre d'Arnhem. La Terre d'Arnhem est une terre dans le nord reculé de l'Australie appartenant aux Aborigènes ; elle fait trois fois la taille de la Belgique et compte seulement 16 000 habitants, dont beaucoup pratiquent la plus ancienne tradition d'art ininterrompue au monde.
Au cours des 15 dernières années, j'ai eu le privilège absolu de travailler avec Deborah Wurrkidj, Jennifer Wurrkidj et Susan Marrawar; des femmes courageuses, dévouées et inspirantes. Bien que ces artistes créent des œuvres d'art dans de multiple médias, je vais commenter les oeuvres textiles exposees et, plus particulièrement, les textiles sérigraphiés - mon domaine d’expertise. Les textiles présentés ici comprennent également des linogravures sur tissu, pour lesquels contrairement aux textiles sérigraphiés, chaque pièce est une impression unique unique.
La production textile aborigène a débuté il y a près de 50 ans dans des centres d'art communautaires reculés, mais ce n'est qu'au cours des 10 dernières années que nous avons assisté à une expansion rapide de la création de ces textiles imprimés à la main. Au cours des cinq dernières années, ces textiles ont été primés dans des événements nationaux d'art et de mode aborigènes, ont été exposés à l'échelle nationale et internationale, acquis par des institutions de collection et commandés par de grandes entreprises et des marques de design et de mode haut de gamme. Le Centre d'art de Femmes Babbarra a été à l'avant-garde de ce mouvement et possède maintenant une collection remarquable de plus de 100 modèles textiles de grand format.
Leur caractère esthétique et leur beauté visuelle font vendre les textiles, mais leur attractivité auprès des consommateurs est renforcée par les histoires culturelles importantes encapsulées dans les designs/motifs. Appréciés pour leur vitalité et leur caractère jovial, les textiles communiquent une riche histoire de croyance spirituelle et de culture matérielle qui s'inspire de traditions anciennes, d’histoires ancestrales et d’environnements naturels. Les aliments du « bush », la vie animale et végétale ainsi que les objets domestiques tels que les sacs à collecte, les pièges à poissons, les nattes et les plats à nourriture sont représentés dans les textiles. La technique de sérigraphie confère une authenticité et une netteté au produit fini, capturant le toucher original et l'intégrité de la main de l'artiste, tout en incarnant un design avant-gardiste.
Les textiles constituent un point de départ pour l'invention et le renouveau : ils occupent une position de niche sur le marché des arts indigènes en tant que produit culturel haut de gamme véhiculant pays et culture, et en tant qu'entreprise économique offrant de nombreuses possibilités aux artistes dans les secteurs de la de l’art, du design et de la mode. Dans les communautés aborigènes reculées où les opportunités de développement économique sont rares, les entreprises textiles ont créé un milieu de travail actif et motivant, un lieu d'échange intergénérationnel et une réelle capacité de développement économique, d'emploi, d'éducation et de déplacement.
Il est très enthousiasmant que des textiles aborigènes du Centre d'art de femmes de Babbarra soient arrivés à Paris et je vais vous laisser imaginer toutes les opportunités en France possibles pour ces textiles étonnants. J'espère que vous apprécierez cette exposition."